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Doux Orage (Nouvelle)

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Message par Invité Lun 19 Mar 2012 - 7:42

Doux Orage

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[justify]Pour résumer, et ne pas vous faire perdre votre temps si vous n'aimez pas ce genre d'histoire, il s'agit d'un "conte" qui deviendra petit à petit fantastique. L'histoire d'un banal chien errant un peu poétique et philosophique sur les bords. J'espère que le mélange des deux rendra Wink Le véritable pari? Essayer de rester le plus possible dans le monde du chien, sans trop les humaniser, en essayant d'aborder leur perception de l'humanité. Dur dur sachant que je n'ai jamais été un chien...

RÉSUMÉ

"La pluie des cieux font vivre les fleurs et la pluie des yeux fait grandir nos enfants"

Orage est un chien comme les autres, ni "pluie", ni moins. Il n'a rien de ces créatures nobles qui vivent pour aider les hommes. Nul amour héroïque n'étreint son vieux coeur et la seule chose qui conduit ses pattes sont sa truffe et son estomac creux. Au cours de ses aventures banales, coincé dans un milieu mystérieux des humains qu'il aborde avec une telle naïveté qu'elle lui permet la lucidité la plus pure, le sarcastique animal montre clairement sa médisance pour ce genre si fragile, si complexe. L'histoire aurait pu s'arrêter là si au cours d'un braquage un homme n'avait pas laissé tomber sa valise pleine d'argent aux pieds d'Orage. Aussi observateur que désespéré l'animal se saisit des piécettes rondes qu'il a vu tant de fois s'échanger contre de la nourriture pour acheter son sandwich à un ancien peintre désormais sans abri après avoir perdu la vue. Petit à petit Orage va découvrir que ceux qui savent "faire couler la pluie de leurs yeux" savent donner autre chose que des coups... Petit à petit Orage va devenir l'un de ces chiens fantastiques, l'un de ces héros de roman tandis que le peintre aveugle se tournera vers l'écriture.




Chapitre un: Ni pluie ni moins qu'un autre

Quelques perles boueuses s'accrochèrent à ses pattes imprudentes qui foulaient les ruelles mouillées et froides. Chagrine, la ville ruisselait de toutes parts, gémissant en laissant cavaler son eau sale jusqu'aux égouts, une manière comme une autre de cacher ses larmes. Demain, lorsque le soleil brillerait, que le bitume luirait de nouveau, la boue sècherait, formant une croûte douloureuse mais ça Orage ne le savait pas. C'était toujours la même chose, une répétition logique, un ordre inébranlable qu'il ignorait pourtant, parce qu'Orage vivait toujours au présent. C'est pourquoi, sans se préoccuper du silence pesant qui l'entourait, il continuait de trottiner sans jamais dévier de sa route comme s'il craignait de perdre le lien invisible qui le guidait, quitte à sauter dans les flaques.

Orage n'avait rien d'un chien formidable dont on raconte les exploits dans des livres, il n'était qu'une bête abandonnée de plus, un mélange indésirable entre deux races indéfinies, ni laid, ni beau juste unique. Il n'avait jamais été l'illustration parfaite de l'amour entre les hommes et les animaux, reflétant plutôt la cohabitation difficile entre ces deux espèces. Orage n'avait pas non plus ce raisonnement humain que l'on prête parfois aux héros des bouquins pour enfants, il n'était qu'un chien, un simple chien qui cherchait de la nourriture. C'était son estomac constamment vide qui guidait ses pas, qui lui faisait ouvrir les yeux le matin et le forçait à parcourir des ruelles plus ou moins semblables, qu'il fasse beau ou qu'il pleuve. La pluie l'arrangeait même si cela émoussait son flair car les humains se terraient dans leur niche. Une niche que le vieil animal avait également eu avec une plaque pour indiquer son nom, marquer son territoire en langage de bipède. Désormais il était seul avec son arthrose dans la rue, nouvelle et fidèle compagne qui se faisait plus présente, plus pressante à chaque pas. Son histoire était triste, pathétique même voir clichée. Malheureusement c'était bien ce stéréotype qui rendait la chose encore plus triste, plus pathétique, trop de répétition... Trop d'Orages égarés en ville qui hurlaient la nuit, faisant tonner leur voix au beau milieu de la nuit, s'attirant les foudres des humains qui dormaient, le ventre plein, des grillages protégeant leurs grandes niches.

L'animal tourna à droite, bousculant légèrement un « sans-poil » adulte sans le moindre respect. Il savait que son acte lui coûterait quelques aboiements mais ne comprenant pas le langage humain, il ne se sentait guère insulté. La seule règle que respectait rigoureusement Orage concernant les bipèdes était de ne jamais refermer ses crocs sur leur peau lisse. Dès lors épris d'un étrange sentiment de solidarité ils s'uniraient pour l'achever. Non pas que le canidé tienne spécialement à continuer sa misérable vie mais son instinct l'y forçait. Il devait survivre jusqu'à ce que son heure arrive, c'était sans appel. Certains humains selon des rumeurs avaient le pouvoir d'appeler à eux la mort. Si les chiens la sentaient venir quand elle se mettait en chemin, les bipèdes arrivaient à la provoquer, à l'inciter à marcher jusqu'à eux ou leur compère ennemi. De ce point de vue, c'était donc vrai que les deux espèces se complétaient bien. L'un de ses pairs autrefois confortablement niché sur le territoire d'un homme lui avait raconté comme son maître avait hurlé des nuits entières avant que lui même ne le découvre baignant dans son sang. Son hurlement avait probablement servi à faire intervenir la fin avant l'heure. On lui avait aussi dit comme les hommes malheureux arrivaient à faire couler la pluie le long de leurs joues. Curieuses bêtes capables de donner vie à l'Orage mortel. D'abord la pluie gouttait le long de leurs yeux puis le tonnerre sortait de leurs entrailles et enfin, ils s'éteignaient, laissant leur chien seul.

Les pensées abîmées et inaccessibles du canidé s'enfuirent dès l'instant où il retrouva l'odeur voulue. Ses pattes l'avaient porté vers les boîtes que les humains disposaient là et dans lesquelles ils délaissaient quelques restes de nourriture, comme un chien rassasié laisse sa carcasse aux autres. A la différence prêt qu'ils revenaient sur les lieux de leur « chasse » et défendaient avec une ardeur incompréhensible ce dont ils ne voulaient pourtant plus contre les animaux errants comme Orage. Curieuses bêtes vraiment.

Le chien leva ses yeux voilés vers la fenêtre qui donnait sur une grande niche, un endroit où les hommes nourrissaient leurs comparses monnayant quelques pièces rondes et dorées. Le comparse qui y résidait lui avait dit qu'il s'agissait d'un moyen de « gagner sa vie », il fallait nourrir les autres pour pouvoir manger à son tour. Pourquoi ne se contentaient-ils pas tout simplement de faire ripaille avec tout ce qui était déjà à disposition au lieu de régaler les autres? Au risque de se répéter Orage se dit une fois de plus que ces créatures étaient vraiment étranges. Des créatures dont il se méfiait et qu'il méprisait grandement pour leur esprit compliqué qui déteignait toujours sur eux. Eux les chiens de la rue, les abonnés de l'abandon. Doucement il s'approcha de Royal, le doberman qui lui avait expliqué le fonctionnement de ce lieu appelé « restaurant ». Les oreilles fines de l'animal se dirigèrent vers le vieux chien alors que sa truffe s'agitait mollement pour sentir les effluves qu'apportaient Orage. Sous la crasse et la pluie il reconnut l'odeur qu'apportait toujours le chien avec lui, le tout relevé avec un zeste de résignation habituelle.
[justify]
«Pluie... ça fait longtemps que tu ne trainais plus par ici. »

Les humains l'avaient appelé Orage, le doberman ayant l'habitude de le voir se réfugier ici les jours gris l'avait nommé à sa manière. L'animal n'appartenait à personne, c'est pourquoi aucun nom ne lui appartenait et que chacun pouvait l'appeler comme bon lui semblait. Quoiqu'il en soit, l'ironie avait voulu que tous ses pseudonymes aient un rapport avec les caprices du ciel.

« Il faisait beau. Je n'avais aucune raison de venir. »

Répondit le concerné d'une voix sans intonation. Il cligna des yeux et baissa légèrement la tête, sa queue noire collant ses flancs creusés. A trop accompagner les humains Royal était devenu aussi étrange, aussi instable qu'eux. Tantôt il le laissait accéder aux poubelles garnies, tantôt il le chassait. Orage tourna la tête vers le restaurant, si un humain regardait en leur direction ce n'était même pas la peine d'essayer, son interlocuteur tenait beaucoup trop à son collier pour se risquer à laisser un vagabond s'approcher du territoire sacré des hommes. Personne. Le bâtard s'approcha lentement, il n'était plus aussi jeune qu'avant, la prudence était de mise face à ce grand canidé bien nourri, fougueux et puissant. Néanmoins Royal paraissait plutôt joyeux aujourd'hui, envieux de faire la conversation même, du coup il laissa Orage passer, s'effaçant pour que le chien accède aux mets délaissés par ses maîtres, ou bien était-ce par peur de recueillir des puces dans son pelage? Quoiqu'il en soit, le porteur de tiques affamé se dressa sur ses pattes arrières pour fouiller dans la boîte au trésor.

« Mes humains m'ont acheté un nouveau collier, je crois que je gagne une place importante dans la meute. Tu sais ce que signifient les traces qu'ils laissent un peu partout, quand ils donnent un nom à quelque chose ou quelqu'un... Qu'on leur appartient. C'est définitif pour moi. »

Le jeune doberman bomba son torse. Sur sa poitrine de feu, une médaille ronde et brillante résidait, frappé des étranges traces que les humains laissaient un peu partout, notamment sur des plaques de rues ou encore sur le collier des chiens. Sans doute que ces traits distordus signifiaient « Royal » en langage humain, le nom du doberman.

« C'est bien mon jeune ami, mais reste prudent, avec les bipèdes rien n'est jamais acquis, ils savent inscrire les traces mais aussi les effacer. C'est comme l'odeur que nous laissons sur les arbres, il faut sans cesse refaire la marque sous peine de quoi, la pluie effacera tout. »

« Pourquoi es-tu si sinistre? »

« Réaliste. Je sais mieux que quiconque le pouvoir de la pluie, n'est-ce pas ainsi que tu m'appelles après tout? Tu me l'as dis toi même, et nous sommes d'accord sur ce fait, les noms ont une signification spéciale. Ce n'est donc pas par hasard que tu as ressenti le besoin de me donner cette appellation. Je viens avec elle parce qu'elle efface mon odeur, me protège des jeunes trop territoriaux. Les humains ont ce pouvoir de faire tomber la pluie de leurs yeux quand ils le veulent, ils sont donc capable de t'effacer également. Je ne te prédis pas ton avenir, je te préviens juste, c'est ma façon de te remercier pour ce repas que tu m'offres. »

Le doberman était jeune et ne saisissait pas spécialement la portée de ces paroles violentes dites avec tant de douceur pourtant, il s'ébroua autant pour se donner contenance que pour faire cliqueter sa médaille sur son collier de cuir, comme pour se rassurer quant à sa présence.

« Dans ce cas, efface-toi mauvais présage. Va-t-en et ne reviens pas... Je ne veux pas de tes cadeaux mouillés et poisseux. Retourne donc à la boue. »

Découvrant ses crocs blancs, le chien racé agita son moignon de queue et coucha ses oreilles pour chasser le vieux grincheux. Ce dernier affamé ignora le plus longtemps possible les avertissements donnés par son ancien ami. Il savait que cette fois, jamais plus il n'aurait accès aux poubelles de ce restaurant, il avait été trop loin, toute vérité n'était pas bonne à dire mais comment s'en empêcher, lui l'abonné à l'abandon, le sarcasme était un autre de ses compagnons de voyage avec la pluie et l'arthrose. Seul, vieux, on s'entourait comme on pouvait. La mâchoire puissante du doberman claqua près de ses flancs noirs, Oreilles plaquées contre son crâne, l'ancien dominant répondit, au comble de la rage. Lui qui paraissait si résigné semblait soudain prêt à exploser, grondant comme l'orage qui promet de s'abattre sur Terre. Soudainement lassé de ces traitements aussi inégaux qu'illégitimes il avait oublié ses douleurs et recouvrait assez d'énergie pour laisser transparaître la bête puissante qu'il avait auparavant. Ses crocs jaunis et émoussés crochetèrent la nuit tombante avec âpreté, plongeant tout près de la fourrure du doberman en signe d'avertissement.

Un homme pointa son museau rosé, devenu inexplicablement rouge à travers la porte. Depuis le début de leur conversation le restaurant s'était vidé de ses clients et seule une bouteille contenant un liquide ambré sommeillait sur la table. A chaque fois qu'un élément semblable trônait à côté d'un humain, leur museau se teignait en rouge sans qu'ils ne saignent et ils se montraient particulièrement agressifs et maladroits. Étrange paradoxe qui les rendait aussi dangereux pour les autres que pour eux même, aussi imprévisibles pour leurs ennemis que leurs alliés.

« La ferme sales cabots! »

Royal avait changé de nom en une seconde, adoptant soudainement la même appellation qu'Orage. Il savait que c'était une insulte et jappa de tristesse et de colère mêlée. Une colère qu'il dirigea vers le chien errant, se jetant sur lui. L'Homme d'une seule phrase avait attisé sa haine envers un être de sa propre race... Transformant les règles du jeu comme il en avait l'habitude. Le passage entre la phase d'intimidation et d'attaque avait été écourtée alors que les animaux hésitaient habituellement à se battre puisqu'une blessure inutilement récoltée pouvait être fatale. Seulement Royal, esclave aimant de ses propriétaires ne pouvait supporter leur déception, il devait décharger son humiliation sur quelqu'un et bien sûr, mordre un bipède était impensable, il lui fallait donc se retourner contre celui qui figurait comme une potentielle victime. Seulement le vieux chien répondit de manière bien plus habile que prévue.

Puisant dans son énergie, Orage rassembla ses pattes pour bondir sur Royal, faisant fi de l'arthrose qui coupait la sensation de force qui coulait auparavant en lui. Ses pattes avant atteignirent la poitrine du doberman, crochetant la médaille nouvellement acquise et lui offrant une prise de choix. Il tira à lui le morceau de métal au goût désagréable et remonta patiemment la fil. Royal se débattait mais son collier serré l'empêchait de se mouvoir comme il le voulait, ses pattes fines et énergiques ne faisaient pas le poids face à l'animal lourd qui se tenait face à lui. En effet, ce dernier, bien qu'efflanqué avait gardé sa carrure d'ancien athlète.

Bientôt Orage sentit le liquide poisseux envahir sa gueule, il fouilla entre les poils de son adversaire pour trouver une veine à trancher, arrachant au passage le collier qui retomba dans un bruit sourd. Se retirant il s'ébroua, grand diable noir, ombre dans la nuit désormais complète. Le doberman gémissant se coucha, les oreilles couchées à l'horizontale et sa langue léchant maladroitement ses babines crevassées. Il s'approcha doucement d'Orage pour faire acte de soumission mais ce dernier refusa, reculant.

« Garde ton odeur d'humain pour toi... Quant à ce collier brisé, sache que c'était mon ultime cadeau pour les anciens repas que tu m'as laissé faire ici. Qu'il te plaise ou non. »

Pivotant sur ses vieilles pattes, la tête à nouveau basse et les yeux à demi fermés l'animal disparut, avalé par l'obscurité, par le silence, avec l'errance pour seule promesse et compagne fidèle.


Dernière édition par Sîta le Lun 19 Mar 2012 - 9:14, édité 1 fois
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Message par Invité Lun 19 Mar 2012 - 7:43

Chapitre 2 : Nuit d'or et d’ocre

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Le ventre encore à moitié vide Orage continua sa route. La nuit se posant sur son pelage déjà sombre l'avait rendu quasiment invisible, surtout aux yeux des humains aux yeux peu efficaces. Trottant menu il arriva dans une grande avenue déserte à cette heure ci. Un son inhabituel le fit cependant sursauter, pointant ses oreilles en avant le chien se crispa, ses griffes raclant nerveusement le sol tandis qu'une odeur âpre achevait de l'inquiéter. Un gémissement s'échappa de ses lèvres, l'affrontement avec Royal avait laissé ses marques, plus qu'il ne l'aurait cru à vrai dire. Désormais que la bataille était finie, il sentait la douleur transpercer ses pattes raidies, toutefois prêtes à s'enfuir promptement suite aux événements qui se préparaient. Après l'odeur, ce fut sa vue qui repéra les bipèdes qui courraient dans l'allée principale. Ceux-ci se dirigèrent vers leur engin à 4 pattes qui courrait pour eux, pauvres hères lents seulement pourvu de deux membres. Des « voitures » lui avait un jour confié un chien somnolant auprès de son garagiste de maître en pleine réparations. Il y avait différente classes de véhicules, des « camionnettes » entre autre mais il avait oublié le reste... En tout cas celui-ci semblait correspondre à la définition, bombé sur l'arrière, le ventre peut-être bondé de choses intéressantes pour Orage. Le chien savait d'expérience que certains humains y transportaient effectivement de la nourriture. Cette nourriture étant entreposée dans des boîtes, l'odeur était entièrement coupée, il fallait donc aller vérifier par soi même bien que le remue ménage des propriétaires de la cage au trésor soit particulièrement inquiétant. Toutefois, à cause de son âge et de son état l'animal savait ne pouvait se permettre de rater un repas éventuel sous peine de s'affaiblir petit à petit et de ne plus parvenir à chercher de quoi se sustenter.

S'approchant lentement le vieux rusé profita de ce que les hommes avaient pénétré dans une grande niche, non sans mal d'ailleurs, pour se faufiler dans la camionnette. Son arrière train peina à suivre le mouvement mais après un peu de bonne volonté Orage parvint finalement à se hisser à l'arrière. Il fourragea nerveusement sous les bâches, ne trouvant que d'étranges boîtes argentées. Des « mallettes » lui avait dit précieusement un caniche dont le propriétaire était un homme d'affaires. Agagio lui avait expliqué que les hommes y entreposaient des écrits particulièrement importants pour eux, ces fameuses traces qui marquaient l'appartenance. Ils y mettaient également des petits rectangles de papier avec lesquels on pouvait obtenir beaucoup de choses, comme de la nourriture au restaurant sans avoir besoin de chasser au « supermarché » ou de fouiller les poubelles comme certains chiens ou hommes errants.

Cherchant de la nourriture Orage se désintéressa des mallettes pour se diriger vers le fond de la camionnette, une erreur de débutant qu'il commettait sciemment, trop affamé pour se risquer à rater une chance de se nourrir. Une autre de ses fautes, celle de trop fut de ne pas avoir fait plus attention au manège des bipèdes. Soudain un bruit assourdissant se fit entendre, provenant clairement de la « niche ». Le chien tétanisé se plaqua contre le sol de la fourgonnette, grognant sourdement. Pour ne rien arranger, les hommes arrivèrent, les bras chargés d'autres mallette grises. Ils portaient sur leur visage des masques noirs, ce qui rendait leurs intentions illisibles pour l'animal habitué à anticiper leur colère selon la forme que prenait leur bouche ou leurs yeux qui se plissaient. Eux aussi avait leur code d'avertissement, à l'instar des chiens qui couchaient les oreilles et plaquaient leur queue contre leurs flancs. Malheureusement les bouts de tissus rendaient les inconnus imprévisibles et d'autant plus effrayants. A défaut de pouvoir faire quoique ce soit d'autre, Orage se recroquevilla dans un recoin de la voiture, laissant s'échapper un jet d'urine. L'odeur qui s'en dégageait dû le trahir ou bien était-ce parce qu'un homme avait décidé de s'installer là où il se trouvait mais toujours est-il qu'il fut découvert. Le « sans-poil » poussa un hurlement très semblable à celui d'un chien blessé lorsqu'Orage enfonça profondément ses griffes dans son avant-bras puis, poussant un juron il empoigna l'auteur de ses souffrances, refermant ses doigts sur son cou. Une pluie fine s'écoulait de ses yeux, encore cette fameuse pluie... Le tonnerre d'abord puis l'eau... Allait-il invoquer la mort?

« Bon dieu, qui a foutu ce putain de cabot ici?! C'est quoi ce délire?!!! »

Encore le mot « Cabot ». Orage se savait donc indésirable, c'était sa propre mort que l'homme invoquait. En effet l'individu l'empêchait de s'enfuir, postant sa silhouette massive devant la sortie et le maintenant fermement. Ses collègues étonnés regardèrent leur partenaire puis l'intrus avant de revenir au premier, avant de se reprendre et de hurler à leur tour.

« Conrad, calme toi! Dégage de là, il va sortir. »

« Cette saloperie veut me bouffer ouais! Sûrement un chien de garde! Et arrête de gueuler mon prénom abruti »

Une troisième voix intervint, moins stressée que les deux autres et détonnant bizarrement avec la tournure dramatique des événements.

« Premio c'est sûrement un chien errant qui a voulu trouver de la bouffe. Secondo: les p'tites banques comme celles là n'achètent pas de chiens de garde... Et tercio ne t'inquiète pas, je pense pas que cette bestiole aille raconter comment tu t'appelles à la police»

Il sortit un petit objet de sa poche et par un procédé magique uniquement connu des hommes, fit apparaître un mini soleil dans la nuit noire. Cette chose avait sûrement un nom mais Orage n'avait jamais rencontré de chien travaillant avec un humain qui s'occupait spécifiquement du dit objet. D'ailleurs le patronyme de la chose lui était bien égal, tout ce qu'il savait c'est qu'il était désormais aveuglé en plus d'étouffer lentement mais sûrement sans rien pouvoir faire d'autre que labourer le vide.

Un autre son répondant au hurlement venant de la niche, une « alarme » selon Royal qui lui avait raconté comment ses maîtres protégeaient son restaurant retentit... Il s'agissait d'une tonalité plus espacée, moins aigüe et accompagnée de couleurs rouges et bleues.

« Les flics, on bouge lâche le bon dieu. Diego, démarre! Ça me soule bordel, c'était sensé être FACILE! »

« Une promenade de santé ouais... »

Chantonna la voix la plus détendue tandis que Diego, posté à l'avant de la camionnette fit gronder le moteur. L'engin démarra brusquement et les voleurs furent projetés contre les parois. Orage sentit que les doigts se desserraient légèrement, il en profita pur mordre violemment son agresseur et tenter de sauter, fou de terreur. Ses pattes glissèrent sur le sol dur de la camionnette alors qu'il était jeté dehors. Son corps percuta une boîte argentée qui tomba avec lui tandis que les hommes masqués refermaient tant bien que mal les portes de leur voiture.

Les auteurs de l'alarme modulée et des couleurs bleues et rouges était juste derrière. Orage se redressa tant bien que mal, il pensa que les hommes qui s'y trouvaient devaient être les prédateurs de ceux qui portaient le masque noir. Il ne comprendrait décidément jamais cette race prédatrice d'elle même. Certes les chiens se battaient parfois pour un bout de territoire ou de la nourriture mais n'allaient pas poursuivre des comparses tranquillement installés dans une autre niche loin de la leur. D'ailleurs il ne saisissait plus grand chose. Son expérience de chien âgé ne lui était d'aucune utilité pour comprendre ce qui s'était produit mais après tout, quelle importance, il était en vie. En plusieurs morceaux certes mais encore debout.

Debout, c'était vite dit! Orage retomba lourdement sur le sol après avoir dégagé la route pour monter sur le trottoir, son corps douloureux glissant sur le bitume encore chauffé à blanc par les roues des véhicules. Cette brûlure contrastait étrangement avec la froideur qu'il ressentait contre son pelage. Se retournant il aperçut l'éclat argenté d'une des fameuses boîtes dont lui avait parlé Agagio. Soupirant le chien posa sa tête dessus. La fraîcheur de l'objet lui faisait du bien, il resta un long moment ainsi avant de se reprendre et de se redresser, plus doucement cette fois afin de ne pas provoquer la vengeance de son corps malmené. Récalcitrant mais finissant par céder à la force de l'esprit, à l'instinct de survie, ses pattes acceptèrent de le porter. Orage renifla la mallette, grimaçant et grondant en sentant l'effluve de celui qui l'avait agressé. Il avait encore perdu de sa motricité suite à cet « accident », le tout sans avoir pu trouver de nourriture. Le bilan était mauvais, le désespoir total n'était pas loin, restait toutefois l'étrange boîte argentée qu'il avait emporté dans sa chute. N'ayant aucun trophée plus intéressant, à défaut de mieux l'animal baissa la tête et chercha à se saisir de l'objet. Ses dents raclèrent inutilement les bords de ce dernier mais sans trop savoir pourquoi, sans doute pour ne pas repartir les pattes vides, il s'acharna jusqu'à trouver la poignée.

Vacillant le vieux chien reprit sa marche vers le repère qu'il utilisait quand Royal ne le laissait pas dormir derrière le restaurant. La pluie avait complètement cessé mais l'odeur de l'humidité était encore présente, soulageant étrangement Orage qui se concentrait sur cela pour oublier l'effluve de son propre sang.

Arrivé au terrain de vague, il s'allongea, épuisé mais incapable de dormir. Reportant son intention sur la mallette le chien s'occupa comme il pouvait, attendant l'aube en s'attaquant à la matière qui protégeait ce qu'il y avait à l'intérieur. Peut-être de la nourriture qui sait? Après tout la nourriture était une denrée précieuse, une telle boîte sensée renfermer des trésors pouvait donc en contenir. Malgré ses pattes blessées et ses coussinets sanguinolents le chien griffa, mordit, coinçant finalement l'objet contre son corps pour mordre deux clips disposés à côtés de la poignée, seuls endroits où il avait une prise. A force d'affiner sa technique, la mallette abordant désormais une teinte rouge, déjà abîmée, « blessée » à l'instar d'Orage par la chute. Le chien renifla ce qui se trouvait à l'intérieur, découvrant dans les premières lueurs de l'aube des papiers carrés et des rouleaux. Ses dents les déchirèrent rageusement, espérant vainement y trouver de la nourriture emballée... Mais non, ce qui tomba de ces enveloppes fragiles fut plus surprenant encore. Il pleuvait de nouveau. Une pluie étrangement dorée qui se mêlait à celle de couleur ocre qui dégoulinait de ses plaies.

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Message par Invité Jeu 29 Mar 2012 - 2:28

Chapitre trois: Capitalisme

Orage s'ébroua vivement, la douleur se rappela à lui et se rallongea un bon moment avant d'oser à nouveau se redresser. Les piécettes perdues dans son pelage nuit glissèrent sur le sol, chassées par les mouvements incertains du mâtin qui les regarda d'un air indéchiffrables pendant quelques secondes. Peut-être parce que cela lui rappelait le bon vieux temps quand il se promenait toujours une balle ou un quelconque jouet dans la gueule, ou simplement pour tromper la sensation de faim Orage se saisit d'un rouleau à demi déchiré et quitta le terrain vague. Le papier se dissolvait légèrement entre ses crocs qu'il avait délicatement refermé sur sa prise. D'un mouvement vif et souple de la tête le chien cala sa prise et partit au trot malgré la douleur.

Les chiens apprivoisés lui donnaient envie, ils avaient dans leur bouche des jouets couinant tandis que lui se contentait d'une matière dure qui lui provoquait des élancements dans les gencives s'il serrait trop. Cependant, par orgueil probablement, il ne lâcha pas le rouleau de piécettes, c'était un peu comme si lui aussi avait ses propres possessions. De loin Orage trompait son monde et les autres canidés curieux reniflaient de loin son étrange butin, jaloux du bruitage joyeux produit à chaque pas. Certes ce n'était pas discret mais à quoi cela servirait-il désormais? Le sang coulant encore légèrement sur son poil annonçait clairement sa présence, de même que ses blessures le rendaient trop maladroits pour l'affût. Il fallait se résoudre à fouiller les poubelles au grand jour, au risque d'être chassé par les hommes qui ne voulaient plus de ces choses mais les défendaient tout de même avec ardeur.

Le mâtin d'ébène arriva bientôt au milieu d'un parc. Il redressa la tête et la queue, se montrant ostensiblement dominant. C'était risqué de provoquer ainsi un éventuel maître des lieux, un dictateur auto proclamé mais c'était sa seule chance d'être à peu près tranquille avec les autres chiens: le bluff. Le tout était de se servir de sa carrure de molosse pour impressionner et cacher sa vieillesse ou ses faiblesses. Voilà ce qui le poussait à trotter haut malgré un léger boitillement et à annoncer sa présence de la manière la plus bruyante qui soit. Pour cela, son fardeau aussi léger que peu saisissable était parfait. Après la stratégie de l'espion, il lui fallait jouer les rois. Après la nuit, le jour... Et quoi de mieux que son pelage noir pour briller comme une ombre inquiétante en pleine lumière? Les hommes vaquaient à leurs occupations, heureusement leur odorat était trop peu développé pour qu'ils sentent le sang à peine visible sur ses poils et qu'il ne connaissaient pas la manière de revendiquer des animaux. Ils se seraient sans doute offusqués qu'un vagabond joue les princes et leur dérobe ce lieu artificiel crée par eux. Les bipèdes savaient créer beaucoup de choses dont également l'herbe, les fleurs ou les arbres. Sûrement grâce à l'eau que leurs yeux produisaient. C'était logique après tout, n'était-ce pas la pluie qui faisait grandir les plantes?

Orage pensait vaguement à cette métamorphose du paysage organisée par les hommes tout en marchant. Des réflexions stupides et inutiles mais qui avaient le mérite de lui faire songer à autre chose qu'à sa blessure. Il s'arrêta près d'un étal où les hommes donnaient aux autres cette fameuse nourriture afin de pouvoir manger eux même. Les bipèdes, aussi bien petits que grands donnaient à la même personne des pièces rondes ou des carrés de papiers à la femme qui servait les saucisses dont n'importe quel chien, de salon ou de la rue raffolait. Le chien ne se sentait toutefois pas la force de quémander ici, les vendeurs étant peu compatissants en général. Il valait mieux essayer avec des humains seuls. Cette grande boîte derrière laquelle était nichée la femme rendait habituellement agressif, comme si la défendre à tout prix contre les vagabonds comme lui était d'un enjeu primordial. Ce qui n'était pas faux d'ailleurs car s'il le pouvait évidemment, Orage ne se priverait pas pour chaparder.

Les humains seuls sur les bancs en revanche semblaient se reposer loin de leur territoire, il n'y avait donc aucune défense à assurer. Parfois ceux-ci étaient de si bonne humeur qu'ils donnaient volontiers un bout de leur repas aux animaux errants... Enfin pourvu qu'ils soient jolis et propres. Paradoxal tout de même comme idée! Quel vagabond affamé pouvait-il se targuer d'avoir un pelage complètement sain? Peut-être ceux qui venaient d'être abandonnés, mais bien vite ils se salissaient et n'attiraient plus la compassion des hommes émus par ce qui était misérable mais pas trop. Quant au grand chien il était loin d'être propre ou adorable mais il n'avait pas le choix, c'était sa dernière option. Il tenta de quémander à plusieurs endroits où des familles s'étaient installées, riant aux éclats, tant que parfois, une goutte de pluie s'échappait de leur regard. Les bipèdes créaient également du « mauvais temps » quand ils étaient heureux, surprenant non? Quoiqu'il en soit le mâtin fut chassé. Il ne faisait pas le poids contre cette bande de caniches ou de croisés de petites tailles qui pour un morceau de pain enchaînaient pirouettes et supplications avilissantes de caresses.

Les promeneurs étaient en définitive trop excités pour Orage, trop mobiles, il se méfiait de leurs grands gestes et n'osait pas approcher. Le mieux était encore de renoncer songeait le chien avec une apprêté qui fit rouler un grognement de dépit au fond de sa gorge. Il allait faire demi-tour, ravalant sa fierté lorsque son regard capta une scène intéressante. Un homme assit seul sur un banc croquait dans un sandwich. Il était assez grand et maigre cependant, vêtu d'une « fourrure » rongée aux mites. A ses côtés plusieurs tableaux reposaient. Des représentations fausses et sans vie que les hommes appréciaient selon Yellow la chienne d'un artiste anglais. Alors qu'il peignait ce même parc, la jolie petite croisée lui avait expliqué que les hommes s'ils savaient faire naître des vraies choses aimaient aussi donner la vie à de fausses. Sans doute parce qu'il faisait toujours beau sur un cadre, et que l'herbe ne grandissait pas, que les puces n'envahissait pas le poil des chiens errants même le temps passant... Que les mets dans les mains semblaient éternels. Quoiqu'il en soit, l'individu était un vagabond, le même type de chien galeux qu'était Orage mais en plus jeune et planté sur deux pattes. Deux petits ronds noirs cachaient ses yeux, mais l'inclinaison de sa tête laissait tout de même comprendre, que malgré cette protection, il ne regardait nulle part. A moins que le vide situé entre l'herbe et le ciel ne soit intéressant? Le mâtin noir leva la tête quelques secondes, visant la même ligne d'horizon que l'homme, mais rien ne vint le surprendre; à part peut-être ce néant continuel totalement ennuyeux qui semblait passionner le bipède.

Le chien abandonna l'idée de comprendre, une fois de plus, il se dirigea vers ce dernier. Sa route fut néanmoins coupée par un autre bipède, plus vieux, le ventre bedonnant avec quelque chose de brillant au fond des yeux, comme une promesse de pluie vaine qui refusait de couler. Visiblement l'homme hésitait à faire tomber le « mauvais temps » du coin de ses paupières, quant à ses « babines » étirées, elles indiquaient que c'était une pluie crée à cause du bonheur.

« Mon petit, ces toiles sont vraiment réussies. Est-ce vous qui les avez faite? »

L'homme ne regarda pas son compagnon, grâce à son instinct Orage finit par saisir que quelque chose clochait avec cet inconnu. Il s'assit et observa la scène, déposant son rouleau de piécettes entre les pattes, la langue pendante et l'air fatigué mais tout de même attentif.

« Bonjour monsieur, non ce n'est pas moi. »

On sentait la lassitude dans ses paroles, comme de l'agacement retenu. Il voulait faire fuir le curieux mais quelque chose l'en empêchait visiblement. Sans doute le besoin de communiquer pour échanger sa nourriture contre des pièces rondes afin de pouvoir manger encore plus. Mais qu'importe, Orage lui était plus intéressé par le sandwich a demi mordu que l'homme tenait fermement dans sa main sans plus y toucher cependant.

« Ah et qui est-ce? »

Demanda l'inconnu en inclinant légèrement sa tête puis en se saisissant de son chapeau. Le soleil était monté haut ce midi, il semblait avoir chaud. Retirant un pan de fourrure il pouvait aussi bien espérer se rafraîchir qu'occuper ses mains qui ne savaient visiblement pas quoi faire. Il s'efforçait de continuer cette conversation qui l'intéressait mais le gênait en même temps. Arracher des réponses à quelqu'un était toujours difficile, surtout quand vous veniez de supposer que votre interlocuteur avait peint ces belles toiles alors qu'il était aveugle. Orage avait fini par le deviner tout comme l'homme qui ne savait plus ou poser ses yeux.

« Mon frère jumeau. »

Lança le petit vendeur qui porta lui aussi une main à son chapeau rabougri sans pour autant le retirer. Étrange vu la chaleur qu'il faisait! Au contraire même, il l'enfonça sur ses boucles brunes, faisant presque fusionner ses lunettes avec le bout de tissu rapiécé.

« Oh... Et bien d'accord, pourriez-vous lui donner ma carte s'il vous plaît? Je suis directeur d'école artistique. Une petite école qui vient d'ouvrir, certes ce ne sont pas les beaux-arts mais j'ai quelques bons mécènes, lesquels ont su attirer un professeur renommé. Bon j'avoue j'avoue, c'est un ami à moi. »

L'homme laissa s'échapper un petit reniflement semblable à celui d'un chien qui flaire un bon casse-croûte mais ne sais pas s'il y aura le droit. Orage glapit, empêchant avec difficulté au son de tonner en dehors de ses babines. Il ne voulait pas que le bipède lui dérobe la possibilité d'avoir ce sandwich. Heureusement ce dernier s'intéressa aux tableaux, nettement moins importants que le bout de pain croqué... Les « sans-poils » avaient également l'habitude de porter leur attention sur les choses inutiles. Avec cette bizarrerie qui se cumulait aux autres, on se demandait vraiment comment ils avaient survécu, mais bon ce n'était pas les chiens errants qui allaient s'en plaindre.

« Oui vraiment vraiment, ils sont agréables à l'oeil. Il manque de la technique mais pas de talent... Donc je disais que ce bon vieux camarade pourrait bien attirer quelques élèves doués dont les capacités restent encore à dévoiler. Pour l'instant l'école n'est pas à moitié pleine, je pourrais donc m'arranger pour que votre frère soit prit à l'essai... Disons avec une bourse s'il est dans... Hum- l'inconnu pourlécha le contour de ses lèvres, happant au passage son épaisse moustache grisonnante avant de reprendre son discours difficile bien que plein de bonne volonté.- la même situation que vous. J'ai fais les beaux arts. Dites-le lui, premier de ma promotion mais mes doigts pris de la tremblote si vous voyez ce que je veux dire. »

L'inconnu se racla la gorge, semblant écouter même si les aveux que le directeur d'école vomissaient étaient longs, entrecoupés de silence gênant et d'allusions difficiles à comprendre. Pourquoi n'en venait-il pas aux faits?

« Non vous ne voyez pas? Enfin voir... Dés... Désolé. Bref, peu importe. Oh et je m'appelle Émile. Émile Dupussetoir. Oui un vrai français, de pur souche! Mon patronyme n'est pas très connu mais il apparaît quand même sur Internet, si vous, enfin ou votre frère plutôt y a accès. »

« Oui, mais vous allez m'acheter des toiles? »

« Oh euh, et bien je... Oh allez pourquoi pas, cela pourrait encourager votre frère pour un entretien. Dites-lui bien que rien n'est joué, qu'il ne s'emballe pas trop mais sait-on jamais. Donnez-moi celle-ci, j'aime beaucoup la texture du poil. C'est un caniche non? Oh je suis bête, désolé, désolé... Comment pourriez-vous le savoir? »

« Oui comment? » -Les « babines » du vendeur s'ourlèrent d'un sourire sardonique. On aurait dit un chien moqueur particulièrement expressif.- « Ça fera 15 euros. »

L'homme fouina dans ses poches avec précipitation. Il avait apparemment fait une affaire. Ce tableau ne portait pas la griffe d'un artiste véritable certes, mais il lui plaisait quand même. Un petit quelque chose rendait ce chien particulièrement touchant. Très réaliste, l'animal, une petite bête aux frisottis charmants était blotti sur un coussin moelleux. Au coin de son oeil une larme cristalline coulait légèrement alors qu'une autre précédent sa soeur avait déjà atteindre sa joue. Un chien qui pleurait, comme c'était original! Un mélange réaliste-fantastique plaisait à l'homme, sans parler du côté torturé du tableau que l'on découvrait derrière l'aspect serein qu'il offrait de prime abord.

« Au fait mon frère. Il ne risque pas de venir dans votre école, il est mort. »

Le dit Émile fit tomber de multiples piécettes sur le sol tant ses gestes étaient maladroits. Avec des gestes hésitants il se baissa, ramassant les ronds dorés entre ses doigts boudinés. Orage s'était relevé au cas où s'il devait fuir mais l'homme ne l'avait même pas remarqué, trop occupé à récupéré son bien. L'échange intéressa vivement le vieux canidé. Étrangement ce ne fut pas le sandwich que lui donna celui qui était assis sur le banc mais un cadre avec un chien installé sur son coussin. Quel arnaqueur! Toutefois son gros acheteur ne sembla pas s'en formaliser, au contraire, il se saisit de l'objet et le plaqua contre son smoking gris légèrement trop étriqué pour lui. C'est vrai qu'il n'avait pas jeté un seul regard au hot-dog depuis le début, bizarre... Mais tant mieux encore une fois. Désormais il allait partir et c'est avec impatience qu'Orage pressentant le départ l'attendait. Il resta debout, prêt à partir à la chasse au sandwich dès qu'Émile aurait tourné le dos.

« Et bien merci bien, au revoir jeune homme. Encore désolé. J'espère que les choses s'amélioreront pour vous... »

Orage avait suivit par automatisme le regard de l'artiste, il contempla d'un air totalement étonné le visage du chien qui se mouvait au rythme des pas du gros acquéreur qui s'éloignait avec soulagement. Il n'en paraissait que plus vivant et le mâtin se sentit étrangement « humain » en ressentant cette peine tordant son ventre. Aucune larme ne vint laver son pelage collé par le sang désormais coagulé toutefois. C'était ridicule, les chiens ne pleuraient pas. Revenons-en plutôt au sandwich.

L'aveugle remarqua l'animal à cause du halètement dont ne pouvait se départir le vieux chien écrasé par la chaleur. Ce dernier s'était déjà levé et posant ses pattes sur le banc il essaya de se saisir du repas à demi manger du petit vendeur. Habile malgré son handicap l'humain leva son bras, il passa son sandwich de l'autre côté. Râlant pour cette proie d'apparence facile qui lui échappait Orage s'affala sur le banc, coinçant une de ses pattes entre les trous de ce dernier. L'aveugle bipède se dressa. A sa manière il était aussi un molosse. Immense silhouette, fine comme une tige mais dont le bras dressé était inaccessible pour un vieux chien, si fier animal fut-il dans sa prime jeunesse. En désespoir de cause le mâtin s'y essaya, grognant sans toutefois déroger à sa règle principale: ne pas mordre les humains sous peine d'avoir bien des ennuis. Le combat fut plus ou moins silencieux, uniquement ponctué de jappements et de gémissements ou de cris de victoire venant de la silhouette aussi filante que le vent.

Orage abandonna lorsqu'il retomba sur une épaule déjà meurtrie par son combat contre Royal suivit des hommes au camion. Il esquissa quelques pas, foulant le rouleau de piécettes qu'il avait oublié. Un petit rond doré glissa sur le sol, suivant un cheminement chaotique pour finir sa course à plat. Éparses le mâtin d'ébène, ses soeurs donnaient vaguement une vision de « déjà-vu ». Orage se souvint du bruit clinquant que les pièces de l'homme avaient faite en tombant sur le sol, puis il se rappela que ce dernier les avait ramassé pour les plaquer dans la paume de l'aveugle. Le vieux rusé se rappela aussi d'Agagio qui lui avait apprit que les humains achetaient de la nourriture aux autres avec ce genre de choses. De la nourriture ou des tableaux avec des chiens qui savaient pleurer d'ailleurs. Il se saisit prudemment d'une pièce et marcha jusqu'à l'aveugle bipède, s'asseyant sur le sol en attendant que ce dernier daigne enfin baisser la main, près à un nouveau combat qui n'aurait pas lieu. Aussi prudemment que le molosse effrayé, l'inconnu dirigea ses doigts vers les halètements, aidé par Orage qui malgré son tremblement posa sa truffe humide contre la peau lisse du bipède. Le contact le fit frémir, la queue entre les pattes il redressa légèrement la tête afin que l'homme puisse sentir le métal froid. L'inconnu parcouru lentement le relief de la pièce et son visage exprima la plus vive surprise. Il tenta de s'en saisir mais le chien se mit à grogner et recula. Plusieurs fois la tentative d'échange repris, échouant à chaque fois jusqu'à ce que l'homme commence enfin à saisir, bien qu'il peine toujours à y croire. Lentement ce dernier prit un tableau et l'approcha du nez du chien qui recula de nouveau.

« évidemment j'aurais du m'en douter! Je suis trop con, ce type a juste oublié de récupérer une de ses pièces en les faisant tomber et tu veux jouer... Quel lourdaud ce type. Allez donne, tu n'en feras rien toi! »

Orage à bout de patience perdit sa prudence et s'élança, ses pattes s'accrochèrent au banc et il toucha du bout de la truffe le sandwich à moitié dévoré sans chercher à le voler toutefois. Pourtant il aurait eu l'occasion de le faire. Cependant sans trop savoir pourquoi il n'avait même pas essayé, parce qu'il n'avait pas envie de se battre probablement ou juste parce qu'il se fichait de perdre un rond doré et que cela rendait les hommes visiblement moins agressif.

Reculant de nouveau le mâtin noir s'assit et plongea carrément sa truffe dans la paume de l'homme. Ce dernier tritura son chapeau, pour le redresser cette fois et découvrir les « poils » bruns et bouclés qui retombaient sur son visage. Il cessa de respirer quelques secondes, osant à peine croire à ce qu'il vivait présentement à défaut de pouvoir le voir. Lentement sa main gauche s'avança, il tendit son hot-dog à Orage qui s'en saisit après avoir laissé tomber la pièce entre ses doigts.

La magie de l'instant fit que le temps s'arrêta un moment, puis Oragre reprit ses esprits en premier, il s'écarta de l'inconnu et se mit à dévorer son bien. L'aveugle haussa les épaules, il se rengonça dans son siège, mettant le rond jaune dans sa poche recousue mille fois.

« Bah après tout pourquoi pas hein. Je sais bien que tu t'en fous autant que l'autre là, mais je m'appelle Nicolas Boissier. Un « français du pur souche tu vois. Oh Désolé... Désolé vraiment, tu vois vraiment mais tu ne comprends sûrement rien. » Quel abruti celui là... »

Orage dressa nonchalamment une oreille vers l'inconnu il termina son sandwich et s'allongea non loin du banc, il n'avait rien à craindre à côté d'un aveugle; certes ingénieux pour protéger son hot dog mais faible de constitution. Et puis ils avaient semblaient-ils conclu un marché tacite, une trêve qui leur convenait parfaitement entre vagabonds. Nicolas épris de la même torpeur que son compagnon à 4 pattes rangea la carte de visite d'Émile dans sa veste bien qu'elle ne lui serait pas plus utile à lui qu'à son frère jumeau. Non pas parce qu'il était mort mais bien parce qu'il n'avait jamais existé.

«Un frère jumeau, ahahaha... On n'est pas payé cher mais on rigole bien, pas vrai le chien? »
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